Description
Nous étions habitués à lire des recueils de poésie qui avaient une dimension érotique chez Diane Descôteaux. À travers tous ses voyages, la poétesse nous ouvrait largement des lignes, des pages sensuelles de ses cahiers intimes. Avec son habileté à broder des images chaudes et colorées, elle écrit des saisons où même la glace brûle.
nus sur du coton
à six cent vingt fils au pouce
nos corps à tâtons
Ce dix-huitième ouvrage semble le plus maîtrisé. Il y a dans les tercets de Descôteaux une triple contrainte de langage. Elle écrit avec la brièveté d’une poésie japonaise codée, elle retient également les rimes et le rythme du sonnet qu’elle a pratiqué durant plusieurs années et, enfin, elle impose un thème, l’érotisme, où elle est en quête des mots du désir. Son style devient ainsi unique. La tournure a une légèreté, une fantaisie qui laisse filtrer à la fois, sa grande érudition, sa connaissance de la versification et son réalisme brut.
qui me sauvera
de tout, surtout de moi-même
quand vous êtes là ?
Le sonnet utilise des figures de style qui donnent aux tercets un relent de classicisme. Elle passe du vous au il, du je au tu et au nous en introduisant des dialogues qui jouent avec la distance et l’intimité. Elle introduit ainsi la narration qui nous fait lire le recueil comme un roman. Qu’arrive-t-il à l’amant dans la page suivante ? Que pense l’amante en ce soir sans clair de lune ? Cela fait tourner la page.
Ses haïkus ne sont pas libres. Elle y tient un compte rigoureux des syllabes : 5-7-5. Alors que le haïku moderne se libère de cette règle. Elle peut donc utiliser les exclamations : oh ! ah ! hi hi ! ô, oups, onomatopées très japonaises. On entre ainsi dans le concept de mono no aware. La beauté et la tristesse de la nature, des saisons et des fleurs, de l’amour évanescent : « les hommes qui passent maman. »
plus de trente et une
trop interminables nuits
sans vous et sans lune
Le poème devient vivant, domestique, romancé. Est-ce sagesse, est-ce le destin humain aussi fatal que dans la mythologie ?
moi, l’idéaliste
je sais bien trop qu’entre nous
rien n’est réaliste
Une lecture nous attend où nous serons partagés entre le plaisir de la poésie et l’urgence de vivre. Au centre de ces contraintes rythmiques, nous avons rendez-vous avec la plus libre des poétesses.
Micheline BEAUDRY
On ne présente plus Diane Descôteaux, poète bien connue des milieux du haïku ; par contre, la femme, elle, se révèle de façon très intime dans ce recueil.
En peu de mots, haïku après haïku, l’auteure fait de nous les témoins privilégiés d’une brève histoire d’amour entre un bassiste et une femme d’âge mûr. De cet homme, nous savons peu de chose, car il est présenté comme une sorte de fantasme idéalisé, sous l’imago d’un roi… À la fois noble seigneur et chevalier noir, prince de l’érotisme avec sa chevelure sensuelle, figure intimidante, puis fascinante, avec qui les rapports deviennent des joutes épiques et auprès de laquelle l’amoureuse reste sous emprise, comme envoûtée.
ah n’être qu’argile
malléable entre ses mains
sous ses yeux de braise
Et même soumise, quand elle ne désire rien d’autre que lui obéir.
À la fois sans pudeur, mais dans le vouvoiement cependant des interpellations à l’amant, se raconte donc l’histoire de ce couple improbable. La liaison a lieu, intensément même, peut-être à cause de tous ces improbables qui devraient l’empêcher : les attentes n’en sont que plus longues, les rendez-vous plus ardents, les chairs plus exaltées.
Le haïku agit ici comme une pierre de foudre, une parole condensée propre à exorciser désirs et angoisses, à éteindre le feu avant qu’il ne se ranime trop fort, trop vite !
Dans chacun d’eux, on peut lire un mélange de force et de tendresse, d’envie et de retenue, de pudicité et de libertinage mêlés. Mais le plus important reste encore le non-dit, en filigrane entre les lignes, qui tait avec tant de bruit la force du désir, le tumulte d’une libido bouillonnante ! Toutefois, au-delà de toute idéalisation, voire du fantasme, les amants demeurent de simples êtres de chair :
d’abord un fantasme
dans l’esprit puis dans la chair
suivi d’un orgasme
Or, le présent, le plus délectable soit-il, n’est pas éternel.
Parfois, ce sont des images empruntées à la nature qui lui permettent d’exprimer des relations charnelles bien précises sans vraiment les nommer. Cette façon typiquement asiatique, à la fois pudique et imagée de dire les choses en puisant dans le lexique naturaliste, fait tout le charme de haïkus délicieusement érotiques :
parfum d’églantine
tout alentour de l’étang –
quel lèche-vitrine !
Il est question de roses et de jardins, de pistil et d’étamines et même de noix de coco. Exotisme oblige !
Et, toujours, ce témoin de l’intime, cette confidente secrète : la lune…
Tandis que les insatiables faims des passions humaines se jouent sous les astres nocturnes, blanche constellation du bélier, le temps, lui, se compte en lune de façon obsessionnelle. Tantôt quart de lune stérile dans l’attente de l’amant, tantôt pleine lune gonflée de sève, aux heures les plus chaudes, lorsque la simple évocation de l’absent suffit à déclencher un semblant d’orgasme.
Mais comment peut-on exprimer la passion, le trop-plein des sens exacerbés en si peu de mots, dans la forme minimaliste du haïku ?
C’est qu’il faut passer les grains du dire au tamis pour n’en garder que les pépites !
Bien souvent, et c’est là tout l’art consommé des haïkistes confirmés, le plus important est signifié dans ce qui n’est pas dit : dans l’ellipse, dirait un occidental, dans le silence subtil du toriawase, préciserait un Japonais.
Tout l’espace est laissé à l’imaginaire du lecteur, entre deux images juxtaposées : en pure suggestion, mais n’est-ce pas là précisément le propre de l’érotisme ?
après cette nuit
la tête dans les nuages –
le riz bien trop cuit
Jusqu’à la fin du recueil, nous restons dans cet espace ouvert. Quoique l’on sache par avance que l’épisode amoureux évoqué ne durera qu’un temps, celui-ci ne se clôt pas mais demeure en suspens comme pour habiter encore un peu le long silence qui s’ensuit…
Hélène PHUNG
Catherine Belkhodja –
Une petite merveille dans ma boîte aux lettres ce matin : des haikus chauds, chauds, chauds de notre grande amoureuse Diane Descôteaux, magnifiquement illustrés par les linogravures d’Hélène Phung et présentés par notre ami Claude Rodrigue.
L’ouvrage est paru en 2019 chez L’Harmattan, mais nous vient du Québec.
Chaque page est un hymne à l’amant, à l’amour, au-delà des frontières, des couleurs, des peaux, de l’âge et des distances. C’est une ode à l’amour, à l’ivresse des corps et des âmes avec la petite note particulière de Diane, réputée aussi bien comme poétesse que comme haidjin. Entre poésie et haiku, elle fait rimer la ligne 1 avec la ligne 3, et ce, pour notre plus grand bonheur…
Je vous invite à partager ses transports …jusqu’au septième ciel !
Véronique MOREL –
Je profite de ce mot pour vous révéler mes coups de cœur à la lecture de vos haïkus dans « Brin de paille dans les cheveux »:
(p.23 bas)
du bout de l’index
suivre une veine saillante
malgré le latex
Sensualité redoutable! J’adore!
(p.24)
jalouse du vent
qui, dans ses longs cheveux noirs
joue impunément
Hummm! Vilain défaut!
(p.43 bas)
vent, neige et tourmente –
est-ce qu’il s’ennuie ou pas
quand je suis absente?
Question troublante, s’il en est!
(p.52 bas)
sur sa fesse nue
ronde et d’un blanc saisissant
la lune poilue
J’adore la force de cette image, coquine, sensuelle!