On ne présente plus Diane Descôteaux, poète bien connue des milieux du haïku ; par contre, la femme, elle, se révèle de façon très intime dans ce recueil.
En peu de mots, haïku après haïku, l’auteure fait de nous les témoins privilégiés d’une brève histoire d’amour entre un bassiste et une femme d’âge mûr. De cet homme, nous savons peu de chose, car il est présenté comme une sorte de fantasme idéalisé, sous l’imago d’un roi… À la fois noble seigneur et chevalier noir, prince de l’érotisme avec sa chevelure sensuelle, figure intimidante, puis fascinante, avec qui les rapports deviennent des joutes épiques et auprès de laquelle l’amoureuse reste sous emprise, comme envoûtée.
ah n’être qu’argile
malléable entre ses mains
sous ses yeux de braise
Et même soumise, quand elle ne désire rien d’autre que lui obéir.
À la fois sans pudeur, mais dans le vouvoiement cependant des interpellations à l’amant, se raconte donc l’histoire de ce couple improbable. La liaison a lieu, intensément même, peut-être à cause de tous ces improbables qui devraient l’empêcher : les attentes n’en sont que plus longues, les rendez-vous plus ardents, les chairs plus exaltées.
Le haïku agit ici comme une pierre de foudre, une parole condensée propre à exorciser désirs et angoisses, à éteindre le feu avant qu’il ne se ranime trop fort, trop vite !
Dans chacun d’eux, on peut lire un mélange de force et de tendresse, d’envie et de retenue, de pudicité et de libertinage mêlés. Mais le plus important reste encore le non-dit, en filigrane entre les lignes, qui tait avec tant de bruit la force du désir, le tumulte d’une libido bouillonnante ! Toutefois, au-delà de toute idéalisation, voire du fantasme, les amants demeurent de simples êtres de chair :
d’abord un fantasme
dans l’esprit puis dans la chair
suivi d’un orgasme
Or, le présent, le plus délectable soit-il, n’est pas éternel.
Parfois, ce sont des images empruntées à la nature qui lui permettent d’exprimer des relations charnelles bien précises sans vraiment les nommer. Cette façon typiquement asiatique, à la fois pudique et imagée de dire les choses en puisant dans le lexique naturaliste, fait tout le charme de haïkus délicieusement érotiques :
parfum d’églantine
tout alentour de l’étang –
quel lèche-vitrine!
Il est question de roses et de jardins, de pistil et d’étamines et même de noix de coco. Exotisme oblige !
Et, toujours, ce témoin de l’intime, cette confidente secrète : la lune…
Tandis que les insatiables faims des passions humaines se jouent sous les astres nocturnes, blanche constellation du bélier, le temps, lui, se compte en lune de façon obsessionnelle. Tantôt quart de lune stérile dans l’attente de l’amant, tantôt pleine lune gonflée de sève, aux heures les plus chaudes, lorsque la simple évocation de l’absent suffit à déclencher un semblant d’orgasme.
Mais comment peut-on exprimer la passion, le trop-plein des sens exacerbés en si peu de mots, dans la forme minimaliste du haïku ?
C’est qu’il faut passer les grains du dire au tamis pour n’en garder que les pépites !
Bien souvent, et c’est là tout l’art consommé des haïkistes confirmés, le plus important est signifié dans ce qui n’est pas dit : dans l’ellipse, dirait un occidental, dans le silence subtil du toriawase, préciserait un Japonais.
Tout l’espace est laissé à l’imaginaire du lecteur, entre deux images juxtaposées : en pure suggestion, mais n’est-ce pas là précisément le propre de l’érotisme ?
après cette nuit
la tête dans les nuages –
le riz bien trop cuit
Jusqu’à la fin du recueil, nous restons dans cet espace ouvert. Quoique l’on sache par avance que l’épisode amoureux évoqué ne durera qu’un temps, celui-ci ne se clôt pas mais demeure en suspens comme pour habiter encore un peu le long silence qui s’ensuit…
Hélène PHUNG
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